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La psychose débutante

Temps de lecture : 7 min

La période entre 12 et 25 ans, est une période de grands changements, tant sur le plan physiologique, psychologique, que social. C’est une période de fragilité (“à risque”) pour l’émergence de troubles psychiques : troubles anxieux, troubles psychotiques, addiction et de troubles de l’humeur.

Concepts

En France, au moins 15 000 nouveaux jeunes par an présentent un premier épisode psychotique.

La crainte est que ces troubles puissent évoluer vers un trouble chronique tel que la schizophrénie ou un trouble bipolaire (1).

Bien qu'il s'agisse d'une période de fragilité, c’est aussi une période associée à une grande plasticité et donc à une grande capacité de récupération, de « résilience ». 

L’intérêt pour les phases précoces de la psychose (« psychose débutante ») a été récemment amplifié du fait de 3 observations : 

  • la durée moyenne des troubles psychotiques avant la mise en place d’une prise en charge est de 1 à 2 ans 
  • le retard à la prise en charge est associé à un moins bon pronostic sur le plan symptomatique et fonctionnel (qualité de l’insertion, qualité de vie)
  • la réversibilité des troubles est meilleure à un stade précoce, dès les premiers symptômes ou le premier épisode.

Plutôt que de considérer la schizophrénie comme un état statique, la vision actuelle est de la considérer comme la dernière étape d’une série de stades pouvant être divisés en six :

  • État de vulnérabilité : asymptomatique, vulnérabilité génétique/antécédent familial de schizophrénie
  • Stade prodromique précoce : symptômes psychiatriques aspécifiques appelés symptômes de base
  • Stade prodromique tardif : symptômes psychotiques atténués, appelé état à ultra haut risque (UHR)
  • Premier épisode psychotique (PEP)
  • Phase chronique de la maladie 
  • Phase de résistance au traitement
La psychose débutante correspond à l’état UHR, au PEP et au rétablissement. 

Dans une vision prospective, l’évolution n’est en rien inéluctable et le passage d’un stade à un autre ne concerne qu’une partie des individus. Pour marquer cette incertitude, le terme d’état mental à risque ou de Ultra Haut Risque (UHR) a été proposé pour désigner les personnes qui présentent des symptômes (potentiellement) prodromiques (c'est-à-dire avec des symptômes psychotiques atténués). Les états mentaux à risque n’évoluent que dans environ 36 % des cas vers un premier épisode psychotique (PEP) pour une durée de trente-six mois (2), on parle alors de transition psychotique. De même, les patients présentant un PEP n'évolueront pas tous vers une schizophrénie, certains verront les symptômes disparaître, d'autres verront un trouble bipolaire ou schizo-affectif apparaître.  

Quand un patient présente un trouble schizophrénique constitué, il est retrouvé qu'un tiers d'entre eux sera en rémission durable: reprise d'une vie sociale, professionnelle et affective. Chez les autres, la maladie persiste dans le temps avec des symptômes à peu près contrôlés grâce à un suivi médical, mais avec des rechutes possibles.  

Les symptômes de base

Le psychiatre Gerd Huber définit les symptômes de base comme des perturbations subtiles, subjectives, vécues par le patient et qui affectent de nombreux domaines de fonctionnement (compréhension, pensée, tolérance au stress...)(3–5). Ces expériences ne sont pas encore observables par le clinicien mais déjà ressenties par les patients comme les premières expériences annonciatrices d'un changement éminemment subjectif de la perception de Soi et de l'environnement (cf tableau ci-dessous). Elles sont perçues comme provenant de soi-même et non du monde extérieur. Elles sont dites de base car elles seraient les premiers symptômes ressentis par les patients atteints de schizophrénie à partir desquelles les symptômes positifs se développeraient. Leur évaluation est facilitée par la BSABS (Bonn Scale Assessment for Basic Symptoms) (4,6) et la SPI-A (the Schizophrenia Proneness Instrument, Adult-version) (7).

Il apparaît que les symptômes de base correspondent à des prodromes précoces, présents tout au long de la progression du processus pathologique.

Le taux de conversion de ces sujets est inférieur à 1% à un an alors qu’il est de 48% à quatre ans. Le repérage de ces symptômes pourrait permettre de proposer des prises en charge thérapeutiques précoces et spécifiques (5,7).

L'état mental à risque

Les sujets présentant des symptômes psychotiques atténués ou très transitoires sont considérés à Ultra Haut Risque (UHR) de psychose (30 % environ contre 3 % en population générale) mais une prise en charge adaptée permet de retarder ou prévenir une telle évolution.

L’utilisation d’échelles standardisées, telle que la CAARMS (Comprehensive Assessment of At Risk Mental States) (8), peut être utile pour évaluer ces symptômes, leur fréquence, et leur sévérité. La CAARMS recherche la présence de troubles du contenu de la pensée (pensées insérées, idées de référence, etc.), d’idées non bizarres (persécution, mégalomanie, etc.), d’anomalies de la perception (audition, vision, etc.) et désorganisation du discours. Il faut que le fonctionnement social et/ou scolaire/professionnel soit perturbé en association à la présence de symptômes psychotiques atténués pour parler d’UHR.

On parle d’état mental à risque dans une vision prospective du tableau et de symptômes prodromiques dans une vision rétrospective. 

Le premier épisode psychotique

Le PEP est caractérisé par l’émergence de symptômes psychotiques francs.

Il se caractérise par une symptomatologie positive, à savoir des idées délirantes ou des hallucinations, qui peut s’associer à une variété d’autres signes cliniques tels que des symptômes négatifs (émoussement affectif, repli social, anhédonie, avolition, apathie...), une désorganisation de la pensée et/ou du comportement, des troubles cognitifs (mémoire, attention, fonctions exécutives (9), des troubles thymiques (dépression, manie, labilité émotionnelle,…) ainsi qu’un déclin fonctionnel important dans de nombreux domaines de la vie (10). La survenue d’un PEP entraîne une véritable rupture dans la vie du sujet du fait de l’expérience traumatisante qu’il représente (11), impactant fortement son insertion scolaire/professionnelle et sociale (désocialisation suite à ces troubles) et s’accompagnant de prise de risques (12–15).

Il est admis que la “transition psychotique” (c'est-à-dire l’émergence du premier épisode) est atteinte lorsque les symptômes psychotiques sont exprimés à un niveau de fréquence ou d’intensité significatif pendant une durée supérieure à 7 jours.

Sous ce seuil, les personnes sont considérées comme ayant un état mental à risque. 

Le PEP touche 3% de la population mondiale.

Il survient généralement à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte avec un âge médian autour de 22 ans (16). Il concerne autant les hommes que les femmes et touche tous les niveaux socio-économiques.

Le premier épisode psychotique ne constitue pas, en tant que tel, une catégorie nosologique. Dans un certain nombre de cas, la pathologie peut régresser, en particulier lorsque l’épisode initial a été favorisé par la consommation de substances psychoactives (cannabis en particulier).

Dans d’autres cas, il peut évoluer vers une forme chronique. Près de 60% des cas rempliront à terme les critères d’un trouble schizophrénique, et 14% les critères d’un trouble du spectre de la schizophrénie (incluant le trouble schizo-affectif). Le 1/4 restant se partage entre les troubles de l’humeur avec symptômes psychotiques (dépression ou trouble bipolaire), et les autres psychoses (17).

De nombreuses comorbidités ont été retrouvées chez les patients présentant un PEP : 

  • À peu près 50% de ces patients présenteraient un épisode dépressif dès le début du trouble (18–20), ce qui est corrélé à un plus faible niveau de fonctionnement et une qualité de vie réduite (21)
  • 30% un diagnostic de stress post traumatique (22)
  • 25% avec un diagnostic d’anxiété sociale (23)
  • D’après Stralin et Hetta (24), 15% auraient une autre pathologie neurodéveloppementale associée : 8,1% de trouble déficitaire de l’attention, 2,5% de déficience intellectuelle et 5% de troubles du spectre de l’autisme (TSA). Les patients avec un PEP et un TSA expérimenteraient davantage de perturbations sur le plan des interactions sociales (25).

Ainsi, devant l’hétérogénéité des présentations cliniques, une évaluation approfondie et des prises en charge personnalisées englobant l’ensemble de la problématique des patients apparaissent nécessaires. 

Le rétablissement

Le rétablissement correspond à la période de stabilisation des symptômes.

Il s’agit de trouver un nouvel équilibre au quotidien : accompagnée par les professionnels de santé, la personne va apprendre à identifier les situations à risque et à mieux se connaître pour tenter d’éviter les rechutes. Ce nouvel équilibre mobilise ses forces et ses ressources tout en tenant compte des symptômes et de la maladie, pour lui permettre de conserver une qualité de vie satisfaisante.

Il ne s’agit pas d’une guérison, dans le sens où la vulnérabilité est toujours présente, les symptômes peuvent réapparaître et des rechutes peuvent survenir pendant cette période.

Le rétablissement n’a pas de durée prédéfinie et peut évoluer vers une stabilisation clinique ou vers la survenue d’un nouvel épisode psychiatrique. Dans tous les cas, un accompagnement par des professionnels de santé est indispensable au cours de cette période pour surveiller l’évolution des symptômes et apprendre à mieux connaître la maladie.

Aller plus loin...

Sources

1. Fusar‐Poli, P. et al. Transdiagnostic psychiatry: a systematic review. World Psychiatry 18, 192–207 (2019)

2. Fusar-Poli, P. et al. The Psychosis High-Risk State: A Comprehensive State-of-the-Art Review. JAMA Psychiatry 70, 107 (2013)

3. Huber, G. & Gross, G. The concept of basic symptoms in schizophrenic and schizoaffective psychoses. Recenti Prog. Med. 80, 646–652 (1989)

4. Klosterkötter, J., Schultze-Lutter, F., Gross, G., Huber, G. & Steinmeyer, E. M. Early self-experienced neuropsychological deficits and subsequent schizophrenic diseases: an 8-year average follow-up prospective study. Acta Psychiatr. Scand. 95, 396–404 (1997)

5. Klosterkötter, J. & Schultze-Lutter, F. [Is there a primary prevention of schizophrenic psychiasis?]. Fortschr. Neurol. Psychiatr. 69 Suppl 2, S104-112 (2001)

6. Parnas, J., Handest, P., Saebye, D. & Jansson, L. Anomalies of subjective experience in schizophrenia and psychotic bipolar illness. Acta Psychiatr. Scand. 108, 126–133 (2003)

7. Schultze-Lutter, F., Ruhrmann, S., Picker, H. & Klosterkötter, J. Development and evaluation of the schizophrenia proneness instrument, adult version (SPI-A). Schizophr. Res. 86, S4–S5 (2006)

8. Krebs, M.-O. et al. [Assessment of mental states at risk of psychotic transition: validation of the French version of the CAARMS]. L’Encephale 40, 447–456 (2014)

9. Bora, E. & Pantelis, C. Meta-analysis of Cognitive Impairment in First-Episode Bipolar Disorder: Comparison With First-Episode Schizophrenia and Healthy Controls. Schizophr. Bull. 41, 1095–1104 (2015)

10. Lefley, H. P. An early example of culturally competent services. Psychiatr. Serv. Wash. DC 60, 1557; author reply 1557-1558 (2009)

11. McGorry, P. D. The clinical boundaries of posttraumatic stress disorder. Aust. N. Z. J. Psychiatry 29, 385–393 (1995)

12. Baxter, D. & Appleby, L. Case register study of suicide risk in mental disorders. Br. J. Psychiatry J. Ment. Sci. 175, 322–326 (1999)

13. Chang, W. C. et al. Self-perceived cognitive functioning and its relationship with objective performance in first-episode schizophrenia: The Subjective Cognitive Impairment Scale. Compr. Psychiatry 56, 42–50 (2015)

14. Chang, W. C. et al. Rate and risk factors of depressive symptoms in Chinese patients presenting with first-episode non-affective psychosis in Hong Kong. Schizophr. Res. 168, 99–105 (2015)

15. Dervaux, A., Bayle, F. J. & Krebs, M.-O. Substance misuse among people with schizophrenia: similarities and differences between the UK and France. Br. J. Psychiatry 180, 381–381 (2002)

16. Kessler, R. C. et al. Age of onset of mental disorders: a review of recent literature: Curr. Opin. Psychiatry 20, 359–364 (2007)

17. Fusar-Poli, P. et al. Prevention of Psychosis: Advances in Detection, Prognosis, and Intervention. JAMA Psychiatry 77, 755–765 (2020)

18. Riedel, M. et al. Depressive symptoms and their association with acute treatment outcome in first-episode schizophrenia patients: Comparing treatment with risperidone and haloperidol. World J. Biol. Psychiatry 13, 30–38 (2012)

19. Upthegrove, R. et al. The evolution of depression and suicidality in first episode psychosis: Depression in first episode psychosis. Acta Psychiatr. Scand. 122, 211–218 (2009)

20. Sönmez, N., Romm, K. L., Andreasssen, O. A., Melle, I. & Røssberg, J. I. Depressive symptoms in first episode psychosis: a one-year follow-up study. BMC Psychiatry 13, 106 (2013)

21. Gardsjord, E. S. et al. Subjective quality of life in first-episode psychosis. A ten year follow-up study. Schizophr. Res. 172, 23–28 (2016)

22. Rodrigues, R. & Anderson, K. K. The traumatic experience of first-episode psychosis: A systematic review and meta-analysis. Schizophr. Res. 189, 27–36 (2017)

23. Michail, M. & Birchwood, M. Social anxiety disorder in first-episode psychosis: incidence, phenomenology and relationship with paranoia. Br. J. Psychiatry 195, 234–241 (2009)

24. Strålin, P. & Hetta, J. First episode psychosis and comorbid ADHD, autism and intellectual disability. Eur. Psychiatry 55, 18–22 (2019)

25. Sunwoo, M. et al. Prevalence and outcomes of young people with concurrent autism spectrum disorder and first episode of psychosis. Schizophr. Res. 216, 310–315 (2020)

Ressources

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Brochures

Australian Clinical Guidelines for Early Psychosis

Publiée par Orygen, en juin 2016, ces guidelines ont été élaborées en réponse à l'intérêt croissant des chercheurs et cliniciens pour un nouveau paradigme de prise en charge répondant au pessimisme qui prévalait alors …
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Brochures

Le premier épisode psychotique : Guide d'information, CAMH (2015)

L'objet de ce guide, réalisé par le CAMH (Centre de Toxicomanie et de Santé mentale - Canada) est de renseigner les personnes qui vivent un premier épisode psychotique et les familles sur la maladie, son traitement et …
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Ouvrages

Signes précoces de schizophrénie, Marie-Odile Krebs, Dunod (2015)

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Ouvrages

Troubles psychotiques : protocoles d’intervention précoce: Le guide du clinicien, Laurent Lecardeur (2019)

Premier ouvrage en langue française qui aborde la problématique de la détection et de l'intervention précoces dans les troubles psychotiques, il constitue un guide précieux pour le clinicien.
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Journée « Psychoses débutantes : intervention précoce, nouveaux modèles de soin » - Replay

Journée co-organisée le 4 mars 2020 par le centre ressource de réhabilitation psychosociale, le Centre Hospitalier Le Vinatier, l’AFRC, Espoir PEP, le réseau Transition et l’Institut de Psychiatrie.
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Journée Internationale des Pathologies Émergentes du Jeune Adulte et de l’Adolescent (JIPEJAAD)

Chaque année, courant mars, l’Institut de Psychiatrie organise la Journée Internationale des Pathologies Émergentes du Jeune Adulte et de l’Adolescent (JIPEJAAD). Ces journées sont sont devenues au fil du temps un …
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